L’avenir de notre tissu économique est plus que jamais lié à la compétitivité de nos entreprises. S’il est courant d’agir sur l’innovation, le développement commercial ou l’optimisation des coûts pour développer cette compétitivité, il est plus rare de l’aborder sous l’angle des comportements humains. Pourtant, un mécanisme relationnel peut affecter profondément la performance d’une équipe : il s’agit du «triangle dramatique» mis en évidence par le psychologue américain Stephen Karpman.
Un exemple : «Tous les matins, Arnaud, responsable de l’équipe des quinze jardiniers de la mairie, mobilise chacun sur ses tâches. Tous les matins, Bruno, jardinier, arrive avec une mine triste et trouve à se plaindre sur sa condition et son travail. Il est très imaginatif quant aux sujets de plainte, ce n’est jamais le même. Arnaud s’est employé à l’écouter, le réconforter et à lui rendre des services, allant jusqu’à faire son travail, convaincu qu’ainsi Bruno finirait par retrouver un état d’esprit positif. Au bout de trois mois, excédé par son comportement, Arnaud change d’approche, il devient agressif et autoritaire, maltraitant Bruno devant ses collègues... Résultat : l’équipe s’est mobilisée pour défendre Bruno qui, peu à peu, évolue vers une attitude de provocation de son responsable, soutenu par l’équipe.»
Distribution des rôles
Le triangle dramatique illustre schématiquement un jeu de pouvoir impliquant trois rôles différents mais intimement liés. Le «persécuteur» (ou bourreau) est l’agresseur. Ce peut être une personne, un événement, une situation donnée. Il est généralement perçu comme négatif bien que, dans certains cas, le persécuteur puisse être un innovateur, un initiateur, la source d’une salutaire remise en question. La «victime» subit l’agression du persécuteur. À nouveau, ce rôle est généralement perçu comme non désirable bien que, dans certains cas, la victime puisse profiter du déséquilibre créé pour enclencher un changement bénéfique. Le «sauveur» : c’est le protecteur, le chevalier blanc. À première vue, ce rôle est perçu comme positif alors qu’il contribue souvent à renforcer la dynamique du triangle dramatique.
La plupart d’entre nous sommes programmés pour jouer les trois rôles. En fonction des circonstances et de notre état d’esprit du moment, nous choisirons consciemment ou inconsciemment l’un d’entre eux. Certaines personnes en privilégient cependant un, car il leur apporte l’illusion de certains avantages. Par exemple, le rôle de victime permet d’attirer l’attention des autres, celui de persécuteur nous donne du pouvoir, et celui du sauveur nous donne une image positive de nous-mêmes. Lorsque nous sommes en présence de l’un de ces trois rôles, nous avons tendance à adopter inconsciemment l’un des deux autres.
Dans le contexte d’une entreprise, ce type de fonctionnement est malsain car il coupe toute forme de dialogue constructif, génère du ressentiment, encourage les interprétations erronées et provoque souvent des réactions émotionnelles exagérées. Il en résulte des conflits interpersonnels, une mauvaise ambiance de travail, voire une augmentation de l’absentéisme qui rejaillissent négativement sur la performance de l’équipe.
Sortir du triangle dramatique
Reprenons notre exemple : «Dans le cadre d’une formation managériale, j’ai engagé Arnaud à sortir du triangle en adoptant une posture de manager responsable et juste, à le responsabiliser sur son travail, à le confronter à ses comportements déviants... Paradoxalement, Bruno est sorti lui aussi gagnant de ce changement, le rôle de victime étant tout aussi déplaisant que les autres !»
Le meilleur moyen d’éviter d’être pris dans un triangle dramatique est de veiller à ne pas soi-même endosser spontanément l’un des trois rôles. Si je me sais enclin à chercher la sympathie ou le soutien des autres, je serai particulièrement attentif à ne pas me poser en victime pour faire en sorte que les autres règlent mes problèmes. Si je suis de nature colérique, autoritaire ou directive, je serai vigilant à ne pas agresser verbalement mon entourage, même si je juge qu’il fait mal son boulot.
Le meilleur moyen de s’en sortir est d’inviter de façon bienveillante les différents acteurs à analyser le mode de fonctionnement de la relation plutôt que de continuer à discuter du contenu. Cette technique permet à chacun de prendre du recul par rapport à son comportement et de restaurer ainsi une relation équilibrée.